dimanche 30 mars 2014

Élections municipales françaises 2014

Aujourd'hui, le 30 mars 2014, a lieu le deuxième tour des élections municipales françaises. Ce soir, lorsque les résultats seront publiés, trois données fondamentales seront analysées : la défaite do PS, la victoire de l'UMP et la montée en puissance du FN. Si les deux premières données ne constituent pas une surprise, dans la mesure où les élections intermédiaires ont toujours constitué un moment privilégié pour le rééquilibrage du pouvoir, le parti du gouvernement étant sanctionné au profit du principal parti de l'opposition, l'enracinement du Front National, lui, il mérite une analyse plus profonde. C'est la vraie nouveauté qui sortira des résultats de ce soir.

Marine le Pen à Carvin (Pas-de-Calais)

Le premier élément d'analyse pouvant justifier les résultats du FN, c'est que le vote Front National soit devenu un vote de conviction après avoir été un vote de protestation. Le symptôme qui démontre cette nouvelle réalité, c'est le fait qu'il n'y ait plus de "honte" à afficher le soutien aux idées frontistes. Lors des dernières élections, non seulement les candidats FN cachaient leur appartenance, mais également l'électorat qui votait FN n'affichait pas publiquement le sens de son vote. Pourquoi alors ce changement d'attitude? La raison principale contribuant à l'émergence de cette nouvelle réalité est la pauvreté politique qui se propage dans les partis républicains. Par pauvreté politique je comprends l'absence de propositions donnant un sens au simple fait que des individus différents veuillent se rassembler à l'intérieur d'une communauté politique ayant un pouvoir reconnu par tous et ainsi représentatif. Or, le FN propose une politique, possède une vision politique. Certes, leur vision sort du XIXe siècle, c'est le nationalisme la réponse à tous les problèmes : si la situation economico-sociale est mauvaise, alors il faut protéger de manière exclusive les membres de la nation; si la nation elle-même est malade, alors c'est parce qu'elle a été corrompue par des éléments qui lui sont étrangers (l'Europe, les étrangers, les élites). Certes, c'est cette même logique binaire exclusive qui a conduit l'Europe aux deux désastres, devenus mondiaux, de la première moitié du XXe siècle. Néanmoins, face à l'absence de propositions politiques dans le cadre des partis républicains, qui ne peuvent offrir qu'"une meilleure gestion des affaires", le vote FN devient le vote politique par excellence exprimant le malaise de la civilisation occidentale.

Frederick Rose, Comic Map of Europe, 1870

Ce malaise de la civilisation occidentale que la France incarne parfaitement peut être démontré par la reprise politique d'une logique binaire exclusive qui conforte le discours frontiste. Celui-ci s'est développé au long des trente dernières années d'après une structure binaire qui reproduit l'archétype moral du Bien et du Mal, le Bien étant représenté par le peuple-nation, le Mal étant représenté par l'élite. Or, si le peuple-nation souffre, c'est parce que les élites ne représentent pas les intérêts nationaux, qu'elles soient les élites dirigeantes, cause d'une réalité sociale perçue comme étant dégradante, ou encore les élites intellectuelles, perçues soit en tant qu'idéologues confortant le pouvoir en place soit alors en tant que groupe vivant dans une réalité différente de celle du peuple et donc incompréhensible. Ce n'est pas un hasard si, en France comme en Europe, l'effort intellectuel est de plus en plus décrédibilisé, reproduisant ainsi une réalité vécue dans les années trente. Néanmoins, la question ne se trouve pas tant dans ce discours frontiste fondé dans une logique binaire exclusive. Finalement, ce discours a toujours existé et pourtant il n'a pas été aussi "légitime" comme il l'est aujourd'hui. La question est qu'un tel discours binaire ait été adopté par les autres agents sociaux, qu'ils soient les media ou même certains courants à l'intérieur des partis républicains, justifiant ainsi une division insurmontable à l'intérieur de la communauté tout en acceptant entrer dans le jeu populiste de l'extrême-droite.

François Copé et Nicolas Sarkosy

Ce qui est en cause aujourd'hui, ce n'est pas l'idée d'après laquelle le discours politique des partis républicains serait devenu trop intellectuel et ainsi éloigné de la compréhension populaire. Tous les individus appartiennent à la communauté et sont ainsi "populaires" de la même façon que tous les individus possèdent de l'entendement et sont ainsi "intellectuels". Ce qui est en question aujourd'hui, ce sont deux points fondamentaux :

1. Le discours politique des Républicains et Démocrates est devenu un discours technocratique vidé de tout sens politique. C'est le discours du "comment faire" sans qu'il y ait une "finalité" à ce qui est fait. Et si cette finalité est absente, c'est parce que la question première de toute communauté - pourquoi sommes-nous ensemble? - ne fait plus partie des interrogations des principaux partis républicains. On pourrait affirmer qu'ils ne savent pas où ils vont, mais ils y vont tout droit! Face à ce vide de sens, le Front National propose une solution, propose une orientation, propose une signification. Le vote Front National est donc l'expression d'un besoin de sens, dans ce cas-là le nationalisme. Ce serait donc une erreur de croire que le vote FN est un vote de circonstance, qu'il suffit que le contexte économique et social soit plus favorable pour qu'il redevienne à nouveau un détail - gênant certes, mais un détail - dans le panorama politique (n'oublions pas que la période la plus prospère en France des vingt-cinq dernières années n'a pas empêché Le Pen d'arriver au deuxième tour des élections présidentielles en 2002). Au contraire, le vote FN manifeste un besoin plus profond qui concerne l'essence même de toute communauté politique.

2. La logique du discours FN est devenue une logique socialement acceptable et non seulement acceptable, parce que perçue comme étant pertinente, comme également légitimée par les autres agents politiques. Cette légitimation est démontrée par la simplification de plus en plus extrême des débats. Conscients que leur discours technocratique est incompréhensible, on assiste à des débats élémentaires qui reproduisent la logique binaire du discours frontiste en étant structurés d'après des oppositions réduisant une réalité complexe à ce qu'il y a de plus élémentaire. Cette "popularisation" du discours ne peut qu'être inefficace pour les partis républicains dans la mesure où cela signifie combattre le frontisme avec l'arme que le FN maîtrise le mieux. Mais, surtout, c'est ne s'occuper que de la forme sans se soucier du contenu, c'est-à-dire sans se soucier du sens qu'il faut donner à la communauté : c'est conforter les victoires du FN.

Comment alors arrêter une marche qui ne peut que nous conduire au désastre? La première chose que les partis républicains et démocrates doivent faire, c'est résister à la tentation de légitimer le FN sous prétexte qu'il ne faut pas "blesser" l'électorat frontiste si l'on veut des victoires aux deuxièmes tours des élections (le simple fait que ce soit devenu politiquement incorrect de qualifier le FN de parti fasciste en est la démonstration). L'UMP n'a pas résisté à cette tentation, devenant un parti populiste dans ce que le populisme a de plus mesquin dans l'histoire européenne. Non seulement il a repris les thématiques frontistes comme il a adopté la forme du discours populiste, c'est-à-dire n'a plus aucune pudeur en manipuler la pensée et les affects de l'électorat pour prendre le pouvoir. Le PS est en train d'entrer, de plus en plus, dans cette logique populiste à la différence que, ayant accepté le néolibéralisme comme un fait incontournable dans la société occidentale, il a perdu l'orientation qui lui avait donné son contenu tout au long de l'histoire. Les Partis Socialistes, en France comme en Europe, ne proposent plus rien, étant ainsi des lourds appareils à la dérive.

Tony Blair et Gerhard Schröder

Conséquemment, aux partis républicains revient la responsabilité de proposer des alternatives politiques, et je le répète : politiques!, au FN. Le Front National a bien cerné son ennemi politique : il s'agit de l'Europe, de l'unité européenne. C'est l'Europe le vrai ennemi politique du FN dans la mesure où seule l'Europe unie peut éviter les États de retomber dans les nationalismes et donc dans l'engrenage qui les a conduits à l'état de guerre perpétuelle. En ce sens, le FN possède un coup d'avance sur les restants partis qui réduisent l'Europe à une simple machine et ainsi les questions européennes à une simple question de bon fonctionnement. Pour le FN, l'Europe est une question politique. Les partis républicains - démocrates-chrétiens, sociaux-démocrates et socialistes - qui ont fondé l'Europe ont perdu la vision politique qui était la leur au moment de la création des premières Communautés. Quelle distance sépare les discours des Européens de nos jours de ceux de Spinelli, Spaak, Adenauer, Schuman ou encore Monnet qui n'avaient pas peur d'afficher leurs ambitions fédéralistes! La seule alternative politique au FN, c'est l'Europe politique. Les partis républicains doivent reprendre les ambitions politiques du projet européen, ces ambitions qui ont été oubliées lors des dernières décennies. Pour sauver les Nations de la maladie des nationalismes, le seul remède c'est l'Europe!

Heinrich Bünting, Europa prima pars terrae in forma virginis, 1587

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